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Ouest France du 14 mars 2023

« Zone tendue », le roman de la crise du logement

Dans un court roman noir, Gérard Alle raconte, d’une langue enlevée, mâtinée d’ironie, la flambée immobilière des villages de bord de mer. Comme chez lui, à Douarnenez (Finistère).

Gérard Alle, chez lui à Douarnenez (Finistère).

Gérard Alle vit et travaille à Douarnenez (Finistère). Écrivain et réalisateur de films documentaires ( Mon lapin bleu Nous n’irons plus à Varsovie, portrait d’un survivant de l’insurrection du ghetto de Varsovie, avec Sylvain Bouttet, L’Or des Mac Crimmon), le Breton originaire de Bègles (Gironde) a exercé un grand nombre de métiers, facteur, céramiste, comédien, docker ou boulanger (liste non-exhaustive) et publié une trentaine d’ouvrages, dont le polar fermier « Il faut buter les patates » (Baleine, 2001).

De sa rencontre avec Jean-Bernard Pouy, le père du « Poulpe », cette série dont chaque titre est écrit par un auteur différent, est né « Babel Ouest » (Baleine, 2002), qui se passe à Douarnenez pendant le festival de cinéma. Cette fois il récidive dans la collection Polaroïd chez Inu8 et trois ans après avoir entraîné le lecteur en Écosse ( Scottish Lamento , 2020), plante à nouveau l’intrigue chez lui, à Douarnenez, où, comme partout sur le littoral, la multiplication des maisons aux volets clos et des locations saisonnières au détriment des habitants fait tousser, agace ou rend la population légitimement furax. « Le roman noir est un très bon outil pour explorer les travers de la société » estime Gérard Alle.

Lola l’intérimaire, Alex le slameur mal logé, André l’agent immobilier… Vos personnages racontent un phénomène social ?

Ce sont, en quelque sorte, des archétypes de l’histoire de Douarnenez. Lola, 35 ans, travaille à la conserverie. Alex est un jeune homme qui a des mots plein la tête et ne parvient pas à les sortir. Ce sont des enfants de marins-pêcheurs, d’une femme qui a des problèmes sociaux. Tous les deux trimballent l’histoire et les blessures de cette ville.

Ils galèrent…

J’ai pris deux personnages qui habitent dans un immeuble en mauvais état, ne paient pas cher de loyer. Et le fait que cet immeuble soit bien placé, ça intéresse des gens de l’immobilier. Les spéculateurs regardent aussi les anciens qui vivent seuls dans une maison en se disant qu’en virant le vieux, ils pourraient faire trois appartements. C’est ce qu’il se passe dans ces zones de bord de mer. Il y a une demande énorme pour venir habiter là, avec les risques que ça fait courir aux populations sur place, sans gros moyens financiers. On se retrouve avec des pans entiers de territoires où les travailleurs ne peuvent plus se loger. Les chômeurs encore moins.

Vous avez voulu apporter de la complexité aux personnages ?

Il serait facile de dénoncer la spéculation immobilière avec des méchants, des gentils… Mais André, l’agent immobilier, est dans le doute par rapport à son statut d’homme blanc de soixante ans, par rapport à son boulot. Le maire, il est dans sa logique de maire et il se dit, les immeubles en mauvais état, s’ils peuvent être retapés, c’est bien. Au risque de n’y mettre que des riches ou des vacanciers.

La ville elle-même est un personnage…

À Douarnenez, il y a des gens qui débarquent de partout. La ville change, ce n’est plus la pêche à la sardine, les conserveries qui sont dominantes, ça fait désormais partie de l’Histoire. Mais il demeure quelque chose de l’identité de cette ville. Les villes, je crois, possèdent une personnalité, comme les êtres humains. Les gens qui viennent y habiter finissent même par en prendre les traits de caractère.

C’est-à-dire ?

Chaque personne est habitée par des fantômes, a des attitudes qu’elle ne domine pas forcément, héritages de toute une histoire. Je crois que les villes, c’est pareil, on ne peut pas les changer d’un coup de baguette magique. On peut même préférer parfois qu’une ville soit détruite, qu’elle disparaisse, plutôt qu’elle soit spoliée dans son identité. Quand on pense à Brest, détruite et reconstruite, on pense aussi à cette identité qui existe toujours. Ce n’est plus la même ville mais les fantômes sont restés.

Est-ce étrange d’écrire sur sa ville, de proposer un Douarnenez légèrement fictif ?

C’est toujours dangereux d’écrire sur son bled. J’amène de la fiction dans la réalité de la vie de tous les jours. Chacun a sa propre perception de sa ville, de son histoire, de sa place dans la ville. On risque toujours de froisser quelqu’un…

Vous donnez de la place à la langue orale, qui sonne…

J’essaie toujours de travailler la langue française dans son côté populaire, oral. Ça veut dire beaucoup de travail puisqu’on ne rend jamais l’oralité en la transcrivant immédiatement, il faut beaucoup triturer la langue pour que ça ait l’aspect de l’oral sans en être. Dans ce livre, j’ai introduit le parler douarneniste, que je trouve passionnant. Mais je ne voulais pas qu’il y ait de notes de bas de page pour dire pinvidik (riche), par exemple. Je me suis débrouillé pour coller deux mots parfois, comme pokesse (débile). Je donne les clés pour que tout le monde en comprenne le sens sans avoir besoin de traduire.

Zone tendue, Éditions In8. 96 pages, 8,90 €. Parution le 21 mars 2023. Signature le 17 mars 2023 à 19 h 30, librairie l’Angle Rouge de Douarnenez et le 18 mars 2023, à la maison de la presse de Douarnenez.

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