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Ouest France 10 août 2020

« Un très bel article de Ouest-France sur Jean-François Coatmeur, premier président du jury (2001-2014) du Prix du Goéland Masqué »

C’est à Brest que Jean François Coatmeur est devenu écrivain

Brest en toutes lettres. Une demi-douzaine de ses 28 romans noirs, dont Les sirènes de minuit, ont pour décor la ville où Jean-François Coatmeur a été nommé professeur de lettres classiques.


Jean-François Coatmeur, en haut de la place de la Liberté et de la rue de Siam, à Brest (Finistère) Gaël HAUTEMULLE.

La scène se passe à Brest (Finistère), en ce début d’année 2020. Samedi 25 janvier, dans l’après-midi, un attroupement se forme en bas de la rue de Siam, boulevard des Français-Libres, presque à l’entrée du pont de Recouvrance.

Autour du maire François Cuillandre, alors candidat à un 4e mandat, on compte une trentaine de personnes, parmi lesquelles Jéhanne et Josette Coatmeur, fille unique et veuve de Jean-François Coatmeur, décédé en décembre 2017 à l’âge de 92 ans. Tous sont venus voir le maire dévoiler la plaque signalétique de la petite place qui, outre L’arbre empathique, porte désormais le nom de l’écrivain.

Professeur de lettres au lycée Kerichen

Ce jour-là, la ville de Brest rend ainsi hommage à celui qui, professeur de lettres classiques du lycée Kerichen de 1963 (à son retour d’Abidjan) à sa retraite, a vécu près de 50 ans dans le quartier Saint-Marc, rue Forestou-Uhella. Et qui, comme écrivain, a installé nombre d’intrigues de ses 28 romans policiers en Bretagne et en ce bout du monde.


Samedi 25 janvier 2020, la plaque de la place Jean-François-Coatmeur est dévoilée en présence de Jehanne et de Josette Coatmeur, fille et veuve de l’écrivain Jean-François Coatmeur, décédé en 2017 à l’âge de 92 ans.

Aux étiquettes « polar », « roman noir » ou « roman policier », lui préfère celle de « romans de mystères ». Un genre à qui son oeuvre prolixe contribue à donner ses lettres de noblesse après qu’il a pourtant connu l’époque où il était assimilé au roman de gare. Vite écrit, vite lu, vite oublié. « Dans mes livres, où la police joue un rôle très limité, j’ai voulu démontrer que l’on pouvait écrire des romans à suspense comme de véritables oeuvres littéraires, confie-t-il. Pour faire passer mes idées, mon regard sur le monde, mes critiques sur ses dérives… »

Fait chevalier des Arts et des Lettres en février 2005, Jean-François Coatmeur est également président du jury du prix du Goéland masqué, le salon de littérature policière de Penmarc’h, de 2001 à 2014.


En février 2005, Jean-François Coatmeur est nommé au grade de chevalier dans l’ordre des Arts et des Lettres. Il est ici avec sa femme Josette, aux côtés du maire de Brest, François Cuillandre, et de Pierre Le Bris, de la Librairie de la Cité, son parrain dans l’ordre des Arts et des Lettres.

« Le médecin légiste d’une humanité souffrante »

« Je conçois le roman policier comme une tragédie à la sauce du temps, explique-t-il encore. J’invente des drames qui se déroulent dans mon décor quotidien, je démontre que le pire est possible partout, même ici. »

Ainsi, ses personnages, souvent issus de milieux modestes, sont aux prises avec des problèmes éternels. « Difficultés de couple, dénis de justice, recherche laborieuse de la vérité, etc. : universelles, mes histoires pourraient aussi bien se passer ailleurs. »

Dans le portrait qu’il dresse de son ancien professeur pour Brest des écrivains (1), Hervé Bellec ne dit pas autre chose : « Coatmeur est le médecin légiste de cette humanité souffrante et ses livres sont l’écho d’une révolte qu’il s’est toujours refusé à taire. »


À gauche, l’affiche d’une soirée débat avec l’écrivain à la bibliothèque municipale, le 10 décembre 1987. À droite : le 21 juin 1976, l’écrivain reçoit le Grand-prix de littérature policière pour son livre « Les sirènes de minuit ».

Non sans avoir souligné « la rigueur implacable de la trentaine de ses romans noirs, autant dans l’intrigue que dans le propos, comme s’il cherchait à autopsier les tréfonds de l’âme humaine, à racler la lie dont il parvient toujours à extirper ne serait-ce qu’une larme de pardon ».

Né en 1925 à Douarnenez

Jean-François Coatmeur naît en 1925 à Douarnenez. Ou plus exactement à Pouldavid-sur-Mer, comme il se plaît à le souligner, pour donner la prime au petit port de pêche penn-sardin situé en fond de ria. Il y a en effet grandi dans la maison familiale, aux côtés de sa soeur, Marie-Thérèse, et y retourne passer ses congés de professeur jusque dans les années 1970.

À sa commune natale, bientôt annexée comme quatrième quartier du Grand Douarnenez en 1945 (outre le centre, Ploaré et Tréboul), l’écrivain dédicacera bien plus tard, en 2012, son roman L’ouest barbare, « à Pouldavid, [son] village disparu ».


« Je conçois le roman policier comme une tragédie à la sauce du temps », expliquait l’écrivain brestois Jean-François Coatmeur, auteur de 28 romans noirs.

Tout à son bonheur « d’avoir des lecteurs partout, un public à la fois populaire et intellectuel », le professeur muté dans la cité du Ponant finira quand même par le reconnaître : « C’est Brest qui m’a fait écrivain. Moi qui trouvais la ville sinistre, qui ne pensais qu’à retourner dans le Finistère Sud, c’est ici que j’ai trouvé mes premiers lecteurs. »

« Brest peut offrir d’extraordinaires décors »

« Je ne peux pas vivre ailleurs qu’au bord de la mer, confie-t-il encore. Même pendant ma période de détestation de la ville, j’adorais me promener sur le port de commerce, je rêvais devant les noms des bateaux. Ce n’est pas un hasard si mon livre le plus connu est Les Sirènes de minuit. Une ville comme Brest peut offrir d’extraordinaires décors… » Et l’ambiance brumeuse de ses quais colle à merveille à l’atmosphère glauque de ce polar paru en 1976, adapté au cinéma en 1989 par le réalisateur Philippe Lefebvre, avec Philippe Léotard dans le rôle du commissaire Jef Chabert.


Le réalisateur Philippe Lefebvre et le comédien Philippe Léotard sur le tournage du film « Les sirènes de minuit », adaptation du roman de Jean-François Coatmeur. | DR

Après ses études secondaires brillantes au petit séminaire de Pont-Croix, sept années cloîtré à treize kilomètres de Pouldavid, Jean-François Coatmeur est d’ailleurs à deux doigts de finir prêtre avant de s’échapper et de rejoindre… la faculté catholique d’Angers. Chrétien (de gauche) pratiquant, l’homme est aussi anticlérical. Il se définit lui-même comme « un rebelle anti-institutions. Je n’aime pas beaucoup les médailles, les militaires, les ecclésiastiques. Je donne des coups de griffe aux bourgeois, à la société de l’argent. » Et il s’engage régulièrement auprès d’Amnesty International ou contre l’expulsion des sans-papiers.

Un seul roman autobiographique

Outre Les Sirènes de minuit, qui se passe au port de commerce, cinq autres de ses 28 romans se déroulent à Brest : La nuit rouge (1984) à Recouvrance ; Narcose (1987) lui est inspiré par une belle inconnue à l’air angoissé, entrevue lors d’une messe à l’église Saint-Louis ; Les feux sous la cendre (1994) se consument dans la zone portuaire. Signalons encore La fille de Baal (2005) et Les noces macabres (2016), son dernier livre qui a pour cadre les fêtes maritimes.

Un seul de ses romans est autobiographique : paru en 1991, Des croix sur la mer raconte de manière romancée ce jour du 5 août 1944 où le jeune Jean-François Coatmeur, alors chez ses parents à Pouldavid-sur-Mer, est pris en otage par hasard par les Allemands. Le débarquement de Normandie a eu lieu deux mois plus tôt et les Alliés progressent à grands pas vers l’ouest de la Bretagne. Les Allemands sont aux abois, ceux de la poche d’Audierne tentent de rejoindre le port de Brest.

Sur le chemin, ils capturent une dizaine de jeunes hommes à Pouldavid, dont Jean-François Coatmeur et plusieurs Résistants. Ils les mettent en joue, pendant sept heures, alignés contre un mur, avant de les libérer, sans doute à la suite d’un vague accord…

Il faudra seize ans à l’écrivain pour coucher ce récit sur papier, bientôt adapté en téléfilm par le réalisateur Luc Béraud, avec les comédiens Laurent Malet et Isabelle Renauld. « Je crois que j’angoissais de l’achever. Je voulais être digne de cet événement… »


Depuis samedi 25 janvier 2020, une place de Brest (Finistère) porte le nom de Jean-François-Coatmeur, écrivain brestois aux 28 romans policiers, décédé en 2017 à l’âge de 92 ans.

(1) « Jean-François Coatmeur, le regard noir d’un humaniste », par Hervé Bellec, dans Brest des écrivains, ouvrage collectif dirigé par Alain-Gabriel Monot, Éditions Alexandrines, 9,90 €.

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