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Les critiques du Goéland Masqué : « Jeux pour mourir »

La Seconde Guerre mondiale vient de se terminer. Géo-Charles Véran, ex-journaliste, consacre sa retraite à la protection de l’enfance. Jeux pour mourir, son unique roman, recevra en 1950 le Grand Prix de littérature policière. Dans ce roman des décombres d’une après-guerre pas toujours reluisante, où on exécute des enfants quand on ne les envoie pas au bagne, Géo-Charles Véran se fait la voix de ces vies en lambeaux que tout s’acharne à écorcher.

Belle vient de mourir. Assassinée dans la petite chambre qu’elle occupait, avec ses souvenirs d’une carrière de danseuse brisée d’un seul coup, et ses bijoux, pour avoir un bel enterrement, avec des fleurs. Les bijoux ? Il n’y en a plus. C’est pour ça qu’on l’a tuée. L’enterrement, il n’y avait personne pour le suivre. Quatre gamins chahutent le fossoyeur et investissent le corbillard pour se faire promener. L’Hérisson, le plus jeune, Mérou, La Fouine, et Cat, le chef. Ils traînent la fin d’une enfance trop courte entre le canal, le terrain vague, le lotissement et l’usine. Sans horizon, sans amour, ils ont parfois faim, souvent peur. Mais ils le savent, un jour, ils partiront. Ils prendront le train, le bateau, vers la vraie vie, « un monde où on ne sentirait pas la mort rôder autour de soi ». C’est pour ça qu’ils ont tué Belle.

Du samedi au mardi, quatre jours vont suffire pour les faire basculer dans l’horreur, dans l’impensable engrenage d’un jeu dont ils ne connaissent pas les règles. Enfants perdus à la lisière d’une ville sans nom, hors du temps et du monde, ils ont parfois l’intuition de ce que pourrait être le bonheur ; un geste tendre, un mot d’amour, un mouchoir brodé qu’on garde au fond d’une poche, le souvenir d’un baiser. Mais la réalité est bien là, qui veille, qui rappelle les coups, la solitude, la dureté d’une vie où un « désespoir d’enfant » n’est qu’une amertume de plus.

Dans cet unique roman, publié en 1949, Géo-Charles Véran atteint les profondeurs de la détresse d’enfants sans repères, que la vie dirige droit vers l’horreur. Le clan qui leur sert de famille devient le système perverti qui hâtera leur chute. Une ville impalpable, un présent sans date, aucun effet de style dans cette écriture au scalpel qui dit la souffrance indicible d’enfants sans amour, que rien ne raccroche à la vie. Le drame se déroule, implacable, jusqu’à son issue, folle et inévitable.

Roman noir ? C’est peu dire. Roman des ténèbres, du désespoir, Jeux pour mourir est un objet rare, unique, une terrible et inoubliable descente en enfer.

Géo-Charles Véran, Jeux pour mourir, L’Atalante, 1989
À noter l’adaptation réalisée par Tardi chez Casterman en 1992

Catherine Le Ferrand

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