Voici donc le texte de la Dictée noire que Jérôme Leroy nous a concoctée pour le festival 2025 : de quoi passer de bons moments en famille ou entre amis !
La mandarine détective.
« L’art du crime est souvent l’arme du crime avant que ne coulent les larmes du crime » songea nonchalamment la mandarine Jia mandée par l’empereur après que l’on eut découvert dans un kang le corps désossé d’un haut-fonctionnaire appelé Pou.
Jia était une lettrée et une doctoresse qui avait publié des opuscules et des épitomés remarqués sur l’hébéphrénie et la phlébite. À son intelligence et sa beauté iridescente, il fallait ajouter une subtilité aiguë dans le raisonnement et la résolution d’une kyrielle d’affaires criminelles naviguant entre l’horrifique et la banalité falote. Elle se pencha sur le corps mou de Pou. La chaleur du kang avait accéléré la décomposition de Pou qui, tout haut-fonctionnaire qu’il fût, n’était pas immarcescible.
« Cela ne peut-être que l’œuvre d’un professionnel ! dit-elle de sa voix cristalline sortant comme un ruisselet de ses lèvres purpurines. Retirer ainsi les os sans laisser ni adhérences ni tissus cicatriciels est un exploit dont il faut saluer l’unicité dans les annales de l’empire. Mais cela demeure aussi un crime machiavélique dont la rouerie m’effraierait presque si je n’étais pas une mandarine flegmatique et sereine, voire ataraxique. Et ce pauvre Pou mérite que l’on venge prestement sa mémoire pour que son âme monte dans ce que nos lointains amis scandinaves appellent du beau nom de Walhalla.
Non loin du kang, Jia vit se succéder des bonzes, bouddhistes comme tous les bonzes, qui riaient en jouant du gong.
Elle comprit soudainement la raison de la mort de Pou. Elle s’était égarée sur des pistes aléatoires. La vérité était plus simple. Dans des grimoires antiques qu’elle avait lus pendant ses études de théologie apophatique, il se pouvait qu’il arrivât parfois que des bonzes commissent imprudemment des sons mortifères sur une certaine fréquence qui dissolvait les organes et les os, ne laissant après leur passage que des dépouilles évidées.
Elle interpela les moines aux étoffes safran.
« Etes-vous passés naguère à proximité de ce kang ? »
Les bonzes, marris, en convinrent et acquiescèrent, montrant leurs crânes alopéciques bronzés par le soleil du Yunnan.
« Vous avez tué Pou, bonzes inconséquents et malavisés ! »
Elle les fit arrêter par des spadassins mandchous et des sicaires taïwanais qui lui servaient d’escorte judiciaire. Les bonzes pleurèrent, implorèrent mais Jia posa les scellés sur les gongs et embastilla les bonzes pour insecticide car, même involontairement, ils avaient occis le pauvre Pou.
Ensuite, Jia auditionna de nouveaux bonzes, fit marteler en matière chryséléphantine de nouveaux gongs, car il est bien connu que les bons gongs font les bonzes amis.
