Atelier d’écriture du 25 mai 2015 lors du Festival du Goéland Masqué :
Les participants avaient, lors du premier jeu d’écriture, la double contrainte d’intégrer dans leur texte l’image ci-dessous ainsi que des mots différents tirés par chacun au sort. Voici quelques textes.
L’Hôtel du Nord (Aline)
L’Hôtel du Nord (Aline)
L’Hôtel du Nord, un soir le long de la Seine, dans les faubourgs de Paris. Lucette est derrière son comptoir. C’est le seul café sur la place.
Arrive un marin qui attend sans doute son bateau pour Amsterdam.
Lucette c’est la joie de vivre. Elle est très imaginative et pleine d’espièglerie. Elle est, pour le client, très sympathique.
Le marin a le visage fermé, fait des petits gestes, semble ne rien voir et ne rien entendre.
Lucette décide de le dérider par bonté d’âme et parce que la cohabitation est lugubre. Elle veut le faire rire et chanter.
Mais le marin ne la regarde même pas. Il semble vouloir se torturer à cause d’on ne sait quelle histoire qui lui colle à la peau. Il ne bouge toujours pas, ne boit pas sa bière.
Lucette cherche ce qui pourrait bien détendre l’atmosphère. Sa musique ! Elle cherche la disquette, celle qui créera une euphorie douce et sortira le marin de sa torpeur.
« Non je ne me souviens plus
Du nom du bal perdu
Ce dont je me souviens
C’est qu’on était heureux….. » (le p’tit bal perdu)
Petit à petit, l’homme se laisse aller. Lorsque la chanson s’arrête, l’homme relève la tête. A travers la fenêtre, il voit des fleurs blanches. Des liserons. En une seconde, son visage, ses yeux se transforment. Toute la misère du monde lui mange la figure.
Derrière son comptoir, Lucette croise le regard de l’homme. Elle est atterrée. Il est son seul client du moment.
Mais l’homme la regarde, il va parler. Il raconte les liserons de son enfance, chez sa mamie en Bretagne. Les liserons s’enroulaient autour d’une poupée mécanique, dans un arbre. La poupée, bien que pas jolie, pas souriante, le consolait de ses tristesses.
Aline
Le fossoyeur n’était pas bégueule (Yves)
Le fossoyeur n’était pas bégueule (Yves)
L’ouragan s’abattit sur l’île sans crier gare, à l’heure où les touristes déambulaient en ville, en ce début de soirée où des gogos pleins aux as jouaient leurs liasses de dollars au casino du front de mer. Les bâtiments rococo de la cité caraïbe s’écroulèrent sur la foule impuissante. Très peu en réchappèrent.
La sonnerie insistante d’un téléphone l’avait fait accourir à la morgue centrale car il était le spécialiste, le seul avait-on insisté, à pouvoir se charger de la besogne. Pedro, le fossoyeur n’était pas bégueule, il en avait vu de toutes les couleurs dans l’exercice de ses sinistres fonctions. Mais là, vraiment, c’en était trop ! Le sac était plein !
On était pris de court. L’atmosphère moite devenant torride, les victimes devaient être ensevelies au plus tôt. Le vieux Pedro allait diriger les opérations. Et surtout, un cas un peu spécial se présentait. Stella, la vedette du casino, une danseuse venue de Las Vegas, avait péri dans d’atroces circonstances. Au moment où son numéro la faisait surgir d’une boîte à musique géante, la hampe d’un drapeau arrachée par une puissante bourrasque la transperça dans un jaillissement de sang. Dans l’urgence, on enterrerait Stella dans la position-même où le destin l’avait frappée. Il fallait donc creuser une fosse de forme cubique, en mesure de recevoir l’énorme boîte à musique qui serait son cercueil.
« Trop ! C’en est vraiment trop » grommela le fossoyeur.
Yves
Le cagibi (Dominique C.)
Le cagibi (Dominique C.)
Avec la soudaineté d’un lampe torche qu’on allume, un rai de lumière pénétra dans le cagibi. Elisa tendit son visage vers la lueur dorée, bouche ouverte comme pour s’en abreuver.
Elle ne savait pas depuis combien de temps elle était enfermée. Quatre jours, cinq peut-être. Ce rayon de soleil était la seule lumière qu’elle voyait depuis, régulièrement, à heures fixes sans doute deux fois par jour, durant une dizaine de minutes. Moment magique qui l’aidait à tenir le coup malgré la faim, la soif, le désespoir et la peur, cette peur atroce qui lui tordait les entrailles en ce moment même. Car elle savait aussi que ce rayon de lumière annonçait que l’Ogre allait bientôt venir. Mélange de peur et d’espoir. Il allait lui apporter à boire et à manger, enlever le seau puant. Cela, elle l’attendait avec impatience. Mais le monstre allait aussi sans doute lui faire du mal. Encore. Elisa serra les dents refusant de penser aux choses abominables qu’il lui avait faites. Elle avait pleuré supplié, hurlé, gémi, prié, hurlé à s’en briser la voix. A présent il était temps de passer à autre chose. Elisa changea de position, tentant de trouver une posture ne brusquant pas plus son corps martyrisé, dans ce réduit étroit où elle ne tenait même pas debout.
Elle ne comprenait rien à ce qui lui était arrivé. Alors qu’elle rentrait chez elle, en traversant l’écluse comme d’habitude, elle avait reçu un coup à la tempe. Et s’était réveillée dans ce placard, étourdie et perdue. Puis, celui qu’elle appelait l’Ogre -faute de mieux- était venu.
Dans une comédie macabre, un jeu horrible, il la prenait pour son jouet ou lui parlait comme à son enfant, alternant menaces et douceur, violence et caresses. Et ce rire affreux. Il lui faisait même des cadeaux. D’abord une poupée de chiffon et hier une vieille boîte à musique dans laquelle tournait une danseuse ridicule, et qui dévidait un air faux et grinçant vrillant le crane. Recroquevillée dans sa prison, Elisa n’avait plus envie de pleurer de geindre, elle voulait vivre.
L’Ogre n’allait pas tarder. Elle l’attendait.
Elle avait démonté la vieille boîte à musique, pièce par pièce, soigneusement. Et elle tenait, serrée entre ses doigts une tige de métal pointu.
Dominique C.
Léon (Sylvie)
Léon (Sylvie)
Sur le port de commerce de Saint Nazaire, au milieu des entrepôts, des grues et des conteneurs, Léon promenait son chien. Il se demandait s’il avait pensé à ranger en lieu sûr le dernier coquillage qu’il avait trouvé. Pour sa précieuse collection glanée sur les plages. Il craignait que ce Bernard-l’Ermite rare ne soit pas tout à fait mort et aille se glisser sous un meuble de cuisine avant d’avoir eu le temps de l’entendre se lamenter dans l’eau bouillante.
A cette heure tardive, Léon fut surpris de croiser un autre promeneur qui venait en sens inverse. Ils n’échangèrent pas un mot. Mais le regard de noyé de l’homme et son pas saccadé firent accélérer Léon, tirant sur la laisse de Loulou, son teckel. Cette silhouette mince et grande, à peine aperçue, lui semblait pourtant inexplicablement familière. Aussitôt son imagination se mit en marche, ses neurones joueurs s’entrechoquèrent comme des électrons libres. Sûr, cet homme venait là se suicider en sautant du quai. Sa femme, danseuse au Crazy Horse, l’avait trompé et l’avait quitté aujourd’hui. Ça le rendait fou. Il croyait l’avoir tuée dans une de ses crises de somnambulisme. En plantant un pic à glace dans sa petite cervelle d’oiseau !
Quand, quelques secondes plus tard, Léon entendit un « PLOUF » bien sonore dans le silence de la nuit, il fit aussitôt demi-tour. Il lâcha la laisse de Loulou, se mit à courir pour chercher à quel endroit l’homme avait sauté. C’est inouï, pensa-t-il, jamais encore entendu quelqu’un se noyer ici ! J’aurais donc eu raison dans mes délires ? Il s’arrêta et saisit son portable pour appeler les secours tout en fouillant des yeux l’eau bien noire. Pour faire le numéro, il se releva et tourna légèrement la tête. Il vit l’homme qui s’éloignait rapidement vers la ville, bien dessiné sous la lumière d’un réverbère.
Sur l’eau flottait seulement une petite boîte à musique, avec une clef sur le côté. Que Léon, maintenant allongé sur le sol froid, éclairait avec l’appli « lampe de poche » de son I-Phone. Il sursauta quand il sentit la truffe mouillée de Loulou sur sa joue…
Sylvie
Un soir de l'été 1995 (Z.)
Un soir de l'été 1995 (Z.)
C’est samedi, et comme d’habitude, je fais mes courses à Carrefour. Et aujourd’hui, comme tous les samedis, il y a du monde. Tellement de monde qu’on se croirait dans un embouteillage, en région parisienne, en pleine heure de pointe. Il manque juste des klaxons aux caddies. Ah mais je comprends, il y a aussi une animation pour collecter des denrées alimentaires pour les sans-abris.
Un grand clown au nez rouge écarlate est assis sur un vrai cheval et il fait des acrobaties tout en chantant, accompagné d’une danseuse qui semble sortir d’une boîte à musique. Elle est ravissante. Le clown fait mine de soulever sa jolie robe blanche à l’aide d’un pic quand elle a le dos tournée. Tout le monde rit. Tout le monde rit sauf une personne. Je reconnais cette personne. Il s’agit de mon voisin qui vient juste de sortir de prison. Il en avait pris pour vingt ans. En effet, il avait tué sa femme justement avec un pic comme celui du clown. Et chose bizarre, la danseuse ressemblait étrangement à sa femme, à part la couleur des yeux, elle lui ressemblait comme deux gouttes d’eau.
Le clown avec son pic s’amusait à attraper des produits dans les caddies, sans y arriver bien sûr au risque de tomber de son cheval et de rouler par terre. La danseuse, elle, parmi les gens, avec un sourire de fée, distribuait des tickets qui permettraient aux gens de participer à la collecte alimentaire. Quand soudain, elle arrive près de mon voisin. Les yeux écarquillés, le visage impassible, elle le regarde. Lui, d’un geste rapide, empoigne le pic du clown et transperce la danseuse de haut en bas.
La foule crie. Le clown crie. Mon voisin s’enfuit.
Mais qui avait-il donc tué ce soir de l’été 1995 ?
Z
Cendrillon (Valérie)
Cendrillon (Valérie)
Anatole, allongé sur le sable après une dure nuit, n’avait vraiment plus envie de sourire ce matin. Son cœur meurtri, sa tête pleine d’idées noires, il fulminait un plan machiavélique.
Il se disait qu’il avait assez entendu chanter sa belle. La veille, il l’avait surpris lancer des œillades et puis ensuite embrasser le fils de ce maudit boulanger. Un étranger tout droit sorti de cet îlot rocheux, là-bas très loin. Un gars prétentieux, un soi-disant chanteur, qui la faisait répéter pour la chorale du village.
Alors lui, Anatole, avait décidé que ce serait lui cette fois qui le ferait chanter, ou plutôt non…
Il rentra chez lui, pris une première feuille dans le tiroir du bureau et commença :
« Le chanteur,
si tu lâches pas ma Cendrillon, je te donne une rouste sévère. C’est loin d’ici que t’iras chanter la bagatelle, mon gars !
Mais si t’es plus malin que t’en as l’air, tu comprendras qu’il y en a d’autres dans le village à qui tu fais tourner la tête et que tu ferais d’oublier la mienne.
Anatole. »
Il sortit une seconde feuille et, les yeux humides, écrivit :
« Ma Cendrillon,
Je t’aime comme c’est pas possible. Mais j’ai vu ce gars avec toi hier. Alors je voulais te dire que j’en deviens fou. Je vais pas t’attendre longtemps. Ca je sais pas faire. J’ai des images dans la tête que je n’arrive pas à me sortir. Faut pas que je le fasse. Mais si tu reviens pas…
J’en peux plus. Je t’en supplie.
Ton Anatole. »
Anatole n’avait cessé de cauchemarder la veille au soir. Sa tête était toute encombrée, tourneboulée.
Dans la nuit, Cendrillon portait une robe de mariée et son corps était transpercé par le couteau qu’Anatole utilisait pour découper le poisson. Du sang tâchait sa robe. Elle trônait là, le regard bien droit fixé vers lui. Et face à elle, lui riait et riait et riait encore…
Valérie
2ème jeu d’écriture : un acrostiche avec les lettres « FESTIVAL DU GOELAND MASQUE »
Texte d'Aline
Texte d'Aline
Faire ce que l’on veut, quand on veut
Etre un peu dans l’air du temps
Savoir profiter de l’instant présent
Tout aimer
Inventer ce qui manque
Vivre avec soi et les autres
Aller au-devant de l’émotion
Lire et relire les mots qu’on aime
Dire et redire les mots qu’on aime
Unir le plaisir et le reste
Garder l’enthousiasme
Ouvrir les portes de la relation
Etre disponible pour des choses nouvelles
Laminer l’inquiétude et la nostalgie
Attendre sans gémir que le grand jour vienne
Ne jamais renoncer pour ce que l’on croit bien
Donner et recevoir
Mener sa propre route
Avoir des projets à n’en plus finir
Savoir aimer ceux des autres
Qualifier de beau tout ce que l’on aime
User de ce que la nature nous a donné
Etre soi.
Texte de Yves
Texte de Yves
Fort
Est
Son
Talent,
Incroyable
Vraiment
Aussi
Les
Destinées
Uniques !
Goéland
Où
Errent
Les
Autres
Noctambules
Dont
Mon
Ame
Suppute
Quelque
Univers
Effrayant…
Texte de Sylvie
Texte de Sylvie
Faire un tour
En moto
Sans prévoir d’itinéraire ni d’horaire
Tracer la route
Inviter les goélands et les hérons à nous suivre
Vers l’océan
Aller flâner sur les ports
Lire le journal à la terrasse
Des cafés
Unir nos mains et se sourire bêtement
Gadouiller comme des gamins à marée basse
Ouvrir les rochers pour trouver des coquillages
Emmener les chiens à moto n’est pas possible
Les chiens nous encombreraient
A la maison ils resteront garder les murs
Nous, nous partons quand tu veux
Dans les rues, les avenues, les boulevards et
Même les autoroutes
A fond les manettes
Sans plus réfléchir
Que ça
Une virée de marlous, de « bad » vieux, de foldingues
Echappée belle, échappons-nous !
Texte de Z.
Texte de Z.
Un plus neuf égal dix
- Fernandel !
- Erneste !
Salut, comment ça va depuis la dernière fois ?
- Très bien, très bien, je me suis bien remis de mon accident.
- Incroyable en effet, je vois bien comme tu remarches, tu ne boîtes plus.
Veinard, vraiment, t’as eu beaucoup de chance
- Anatole, lui le pauvre, c’est pas son cas.
Les toubibs disent qu’il ne s’en sortira pas.
Danièle, sa femme, pleure tous les jours.
Unis comme ils étaient ces deux-là, à mon avis, elle va suivre.
- Gardons espoir, il n’est pas encore mort…
- Oh tu sais, trois mois de coma, trente-six fractures dont deux au crâne
Et moi seulement une petite entorse à la cheville
La poisse quand même cet accident
- Accident de merde !
- Neuf morts quand même !
- Dix, pas neuf
- Merde j’me souviens plus
- Ah ouais, pourtant t’as pas eu de fracture au crâne toi
- Seulement une entorse
- Quoique si Anatole meurt, ça fera dix
- Un plus neuf égal dix
- Exact
(Z.)
Valérie V.